Portraits de
parisiens
Rencontre avec Sylvia Whitman
Dessins : Cassandre Montoriol
Dans la liste des monuments incontournables à voir à Paris, il y a la Tour Eiffel, le Sacré-Cœur, Notre-Dame et … la librairie Shakespeare and Company ! Mais ne le répétez surtout pas à Sylvia Whitman, l’heureuse propriétaire, elle déteste que l’on sacralise ce lieu unique en accentuant son côté muséal. Elle met toute sa fougue pour qu’il reste avant tout une librairie, un espace de rencontres, vivant, où le cœur des amoureux de littérature bat forcément un peu plus fort. Comme le sien s’emballe pour ce temple dédié aux livres anglo-saxons qu’elle a hérité de son père. Car dans la vie de Shakespeare and Company, il y a deux Sylvia. La première, Sylvia Beach, créa en 1919, Shakespeare and Company au 12, rue de l’Odéon, une librairie fréquentée par des intellectuels tels qu’André Gide et Ernest Hemingway. C’est elle qui publia le célèbre Ulysse de James Joyce en 1922. L’histoire aurait pu s’arrêter là avec pour seul rappel une plaque accolée à l’immeuble, mais c’était sans compter sur la venue en 1951 d’un autre américain, George Whitman.
37, rue de la Bûcherie, 75005 Paris
01 43 25 40 93
Il rebaptisa sa librairie de rue de la Bûcherie du nom de celle de Sylvia pour faire perdurer l’âme de cette femme qu’il admirait tant. Son adresse du quai de Seine devint le rendez-vous et le refuge de la Beat Generation allant jusqu’à héberger 7 auteurs en résidence. C’est lui qui écrivit les bons comme les moments difficiles de la librairie. C’est seulement à 19 ans, que sa fille Sylvia réapparait dans sa vie. « Je suis tombée amoureuse des livres, de Paris et de mon père » avoue-t-elle en souriant. En 2006, elle reprend officiellement la direction avec son mari, David. Bien avant les réseaux sociaux, Shakespeare and Company a connu plusieurs vies et a failli tourner la page ! Grâce à la clairvoyance et la persévérance de Sylvia, l’adresse a su perdurer et garder l’esprit des fondateurs. « Je n’ai jamais écrit de livre mais chaque coin de la librairie, c’est un chapitre de mon roman » s’amuse-t-elle à dire. Elle appose donc son style en douceur mais fermement.
Pas question de trahir, ni les êtres aimés ni les clients.
« No photos please » peut-on lire à l’intérieur, n’en déplaise aux Instagrameurs, l’expérience ici se vit plus qu’elle ne se voit. « Il y a une âme. L’ambiance, c’est un langage. Je voulais garder cet esprit et mettre la poésie et la littérature au cœur ». Préserver ce décor tout droit sorti des années 50 est l’une de ses missions. Elle a réussi avec habileté à faire évoluer cette capsule temps aux faux airs de labyrinthe avec la création d’une mezzanine ou en poussant, par-ci par-là, les murs pour accueillir jusqu’à 3000 clients par jour, succès sur les réseaux sociaux oblige. Elle a même annexé la boutique d’à côté en sympathique coffee-shop pour éviter qu’elle tombe entre les mains d’une chaîne. Et dans un quartier où le prix du mètre carré affole, elle s’offre même le luxe de conserver une salle à la lecture avec une fenêtre s’ouvrant sur la cathédrale Notre-Dame.
Dans cette pièce rien n’est à vendre et certains des livres sur les étagères proviennent de la bibliothèque de Simone de Beauvoir.
Rencontres, lectures, signatures, édition maison, auteurs en résidence, livres en français et en anglais, neufs ou d’occasion, tote bag… elle continue d’écrire l’histoire du lieu au présent aidée par une équipe d’une cinquantaine de personnes qui se relaie pour ouvrir 7 jours sur 7. La romance entre cette librairie, les auteurs et les lecteurs n’est pas prête de voir le mot FIN.